amine zniber

mahi binebine

Il rêvait d’être chanteur, il est devenu écrivain et peintre. Mahi Binebine s’exprime avec talent à travers des mots et des images. Son recueil de nouvelles Le griot de Marrakech raconte un fragment de sa vie.

Un bout de vie de Binebine

Loubna Bernichi

 

Mahi Binebine.

 

Mahi Binebine est amoureux de Marrakech. Quoi de plus normal ?, c’est la ville qui l’a vu naître et grandir. Difficile de couper le cordon ombilical. La preuve : Le Griot de Marrakech. Un recueil de nouvelles, publié aux éditions Le Fennec, dont Marrakech est l’héroïne. Mahi Binebine retombe dans l’enfance. Il court dans les rues et plonge dans sa mémoire. La place Jamaa El Fna lui insuffle Le Souffle du griot, le bassin de la Ménara La Noyade du négrillon, Dar Belarej Les Visiteurs du ciel. Le bain maure reste son souvenir le plus poignant. Ce lieu a tant inspiré les écrivains maghrébins d’expression française. Mahi Binebine n’est pas en reste. Mais, son regard est fin et sans concession. Et pour cause, il a fréquenté le bain des femmes, Addi, jusqu’à l’âge de dix ans. Une épreuve humiliante à cette époque, mais aujourd’hui une source d’inspiration. Une inspiration qui puise aussi de l’humain et de sa misérable condition. «Je suis né au fin fond de la médina de Marrakech, explique Mahi Binebine. J’ai côtoyé et fait partie des petites gens. Alors, j’ai l’orgueil de penser que mes écrits sont une sorte de revanche sur l’inhumain. J’utilise donc les mots comme ces armes miraculeuses dont parle Aimé Césaire dans ses poèmes.»
Le Griot de Marrakech n’est pas juste le fruit de l’imagination et de souvenirs d’enfants, c’est aussi un travail de documentation. Mahi Binebine a souhaité faire aussi bien que Elias Cannetti dans Les Voix de Marrakech. Il s’est intéressé aux légendes, aux contes et à la petite histoire de cette cité impériale. Il est incollable. Marrakech n’a plus de secret pour lui. C’est cet amour qu’il veut partager. Mahi Binebine invite à la découverte. Un voyage guidé au cœur de la ville. Il n’est pas seul dans cette aventure. Il est rejoint par le photographe Luis Asin, dont les clichés accompagnent les écrits. Deux regards se croisent et se complètent pour traduire toutes les subtilités de Marrakech.
Pour Mahi Binebine, l’illustration enrichit le texte. Il est loin d’être un puriste de l’écriture. D’ailleurs, il est aussi peintre. Entre ces deux types de création, il trouve son équilibre. Dans la peinture, il esquisse un personnage en surface et cherche à le pénétrer. Dans l’écriture, il se place d’emblée à l’intérieur du personnage pour restituer une image. Une harmonie où Mahi Binebine s’épanouit et s’exprime. Dans chacune de ses œuvres, il y a un peu de lui. Mais, dans Le Griot de Marrakech, il s’est encore plus dévoilé. Enfant, Mahi Binebine était inconscient de sa vocation. Il voulait être chanteur de charme, mais il est devenu professeur de mathématiques. Aujourd’hui, à 46 ans, la règle et le compas sont bien loin. La plume et le pinceau les ont remplacés. La chanson n’a peut-être rien perdu, mais la littérature a gagné beaucoup grâce au choix de Mahi Binebine.

 

Interview réalisé pour DIARIO EL PAIS (journal Portugais) en 2004


- Quelques commentaires sur votre œuvre(s) au Guggenheim.

Comme toujours, il y a une grande part de hasard et de chance. J’ai vécu six ans aux états unis (trois ans à New York et trois autres à East Hampton) J’ai rencontré un mécène qui a aimé mon travail et qui l’a défendu auprès de ceux qui font la pluie et le beau temps dans l’univers très fermé de l’art. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé côtoyant les plus grands…

- Quel genre d’influence vos romans exercent sur vos peintures et vice versa ?

Il y a un rapport complémentaire entre ma peinture et mon écriture. Quand j’écris par exemple un livre sur les immigrés clandestins qui essayent de traverser le détroit de Gibraltar pour se rendre en Europe, mon univers plastique est soudain envahi de « patera », de cadavres en sursis, de cannibales (c’est le titre du roman)… Quand je peins, je commence par esquisser un personnage en surface et puis je cherche a le pénétrer, voir ce qu’il y a à l’intérieur. Quand,
j’écris, je me place d’emblée à l’intérieur du personnage, c’est à dire, en plein dans les sentiments, pour restituer une image. Donc, entre la peinture et l’écriture, il y a comme un mouvement de va-et-vient que je trouve très intéressant.

- Comment est ce qu’un mathématicien de formation développe une passion pour l’écriture et la peinture ?


Les mathématiques enseignent une rigueur indispensable à toute entreprise créative. On nous apprend à Partir d’un point A pour arriver logiquement à un point B en se plaçant dans un espace où il y a des contraintes. Un roman, c’est ça. Une peinture, aussi abstraite soit-elle, obéit à des lois d’équilibre. Tous les artistes vous le diront.

- Vous avez travaillé à Paris, N.Y., Madrid, Rome, Marrakech…  Quelques mots sur vos expériences de travail dans ces différentes villes.

Ce serait un lieu commun que de vous dire que l’art n’a pas de frontière. Mais je le pense vraiment. Je me sens appartenir à cette république internationale des arts et des lettres. Aussi, j’ai travaillé avec un artiste espagnol, Miguel Galanda, nous avons peint pendant trois ans des tableaux à quatre mains. Une expérience qui a commencé comme un jeu, mais que nous n’avions pu arrêter que récemment. Il nous fallait alors vivre un temps à Madrid, un temps à
Paris. Nous avions présenté nos travaux un peu partout dans le monde. Nous nous sommes séparés car l’aventure devenait difficile à gérer pour nos familles respectives.

- De quelle façon une ville peut influencer une œuvre ?

Vous verrez beaucoup de couleurs ocres, de terre… dans ma peinture. Si vous venez à Marrakech, vous comprendrez pourquoi. Cela dit, L’art relève davantage d’une fouille intérieure…

- Comment définirez-vous votre peinture ?

J’ai l’orgueil de penser que mes écrits autant que mes peintures sont une sorte de revanche contre l’inhumain ; quand les moyens de cette revanche sont d’ordre esthétiques. J’utilise donc les mots, les couleurs, comme ces « armes miraculeuses » dont parle Aimé Césaire dans ses poèmes.

- Vos peintures sont plus intuitives ou plus conceptuelles ?

Là encore les mathématiques jouent un rôle : C’est à dire un dosage intelligent entre l’intuition et le concept.

- C’est la première fois que vous exposez au Portugal ?

Oui, et j’en suis très heureux. Cela fait des années que je viens passer mes vacances dans votre beau pays. J’y ai de nombreux d’amis. J’aime le caractère accueillant du portugais. A Paris, nous étions beaucoup d’artistes à dîner tous les soirs « Chez Albert », un petit restaurant portugais de la rue Mazarine au quartier Latin. J’aime le vinho Verdé et la morue Abras…

- Quelles sont vos projets le futurs ?

Je viens de finir un livre sur Marrakech (une commande de mon éditeur espagnol) puis l’adaptation au théâtre de mon dernier roman « Terre d’ombre brûlée » et puis… un roman sur les kamikazes de Casablanca. Aussi, des expositions ici ou là (Rabat, Cologne, Madrid…)


- Qu’est ce que vous pensez des chemins que prend l’art contemporain ?

Je pense que l’on s’éloigne de plus en plus de la peinture. Que la photo, la vidéo, les installations en tous genres prennent le dessus sur le pinceau et la vieille palette. C’est la course de ce siècle qui commande cela. Mais nous sommes quelques-uns à faire de la résistance  !!!

- Elle s’approche ou s’éloigne du public ?

Beaucoup de gens sont désorientés. Mais ils l’étaient aussi au début du siècle passé avec les inventeurs de l’art moderne. Seul le temps jugera de ces nouvelles approches.


- Et vos œuvres ?

C’est à vous de répondre !

- Aujourd’hui, la peinture est de plus en plus abandonné par beaucoup d’artistes. Avez-vous déjà pensé à vous exprimer dans d’autres formes artistiques ?

Quand j’étais adolescent, je voulais devenir chanteur de charme. Qui sait, un jour peut-être…

- Qu’est ce que vous pensez du futur de la peinture ? Et de l’art en general ?

Vous savez, l’art a survécu à bien des remous. Il traverse actuellement une zone de turbulence, mais, comme on dit en français, « on ne fait d’omelette sans casser des œufs ! » Encore une fois, seul le temps est juge.


- Le Maroc soutient-il ses artistes ?

Au Maroc, nous avons traversé des périodes difficiles : Les années de plomb. L’artiste, de part son esprit libre, constituait une menace pour le pouvoir. Beaucoup de mes amis écrivains, hommes de théâtre, humoristes ont payé de leur chair le petit vent de liberté qui souffle actuellement sur notre pays. Beaucoup de travail reste à faire, mais nous sommes sur la bonne voie.

- Et l’art en général ?


Le budget du ministère de la culture est ridicule dans notre pays. Beaucoup de nos décideurs pensent à tort qu’il y a des priorités à respecter. Ils disent : Le pain d’abord. J’ai envie de répondre : La culture d’abord, elle ramènera le pain.


- Qu’est ce que vous pensez de l’enseignement de l’art au Maroc ?

L’enseignement des arts est à l’état embryonnaire dans les collèges. Mais nous avons quelques écoles des beaux-arts qui ont fait leurs preuves. Celle de Tétouan par exemple d’où sont sortis de bons peintres.

 
- A votre avis, quelles sont les conséquences de l’écart qui existe entre européen et
nord-américain en ce qui concerne l’art en général ?


En regard de l’histoire, l’art, c’est d’abord l’Europe. L’Amérique, c’est plutôt le savoir-faire. C’est une société efficace, qui a une langue efficace ; et qui a su accueillir le talent. Quel qu’il soit.
D’où qu’il vienne. Qui a su assimiler cette énergie positive comme une sorte de vitamine. S’il y a suprématie actuellement, c’est aussi que l’Europe s’est montrée plus frileuse, moins audacieuse. Une Europe qui a voulu imiter au risque de perdre son âme. Je suis triste, par exemple, de constater la mort du cinéma italien au profit de « Star War » et autres Rambo …Je suis triste de cette marchandisation de l’œuvre d’art venue d’outre Atlantique qui asphyxie bon nombre
d’artistes. Mais ne crachons pas dans la soupe : cette société m’a donné ma chance.


- Les artistes portugais sont-il connus au Maroc ?
 
Très peu. Il y a peu d’échanges culturels entre nos deux pays. En dehors de Vieira da Silva, moi-même j’ai honte de mon ignorance.

- Sont-ils représentés dans les collections marocaines ?

A ma connaissance, non.

 
- Nos deux pays sont géographiquement et historiquement très proches, mais malgré cela on ne connaît pas les œuvres et les artistes marocains au Portugal. Comme expliquer cela ?

Mes livres sont traduits en une dizaine de langues (même en coréen), mais pas en portugais.
Nous connaissons davantage les artistes français et espagnols parce que leur pays ont des politiques de coopération culturelle très développées. Il y a un centre culturel français dans chaque grande ville du pays. Des instituts Cervantes aussi. A quand un centre Pessoa à Marrakech ? « Navigar é presiso » (je ne sais pas si cette phrase de Pessoa est correcte en portugais : « Naviguer est urgent »

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