amine zniber

le bourgeois gentilhomme

Molière

Le Bourgeois gentilhomme

(extrait1)

ACTE I, Scène première

MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, TROIS MUSICIENS, DEUX VIOLONS, QUATRE DANSEURS.

MAÎTRE DE MUSIQUE, parlant à ses musiciens: Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne.

MAÎTRE à DANSER, parlant aux danseurs: Et vous aussi, de ce côté.

MAÎTRE DE MUSIQUE, à l'Élève: Est-ce fait?

L'ÉLÈVE: Oui.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Voyons. Voilà qui est bien.

MAÎTRE à DANSER: Est-ce quelque chose de nouveau?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, c'est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé.

MAÎTRE à DANSER: Peut-on voir ce que c'est?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous l'allez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère.

MAÎTRE à DANSER: Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mettre en tête; et votre danse et ma musique auraient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât.

MAÎTRE à DANSER: Non pas entièrement; et je voudrais pour lui qu'il se connût mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paye bien; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.

MAÎTRE à DANSER: Pour moi, je vous l'avoue, je me repais un peu de gloire; les applaudissements me touchent; et je tiens que, dans tous les beaux arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d'essuyer sur des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées.

MAÎTRE DE MUSIQUE: J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites. Mais cet encens ne fait pas vivre; des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise: il y faut mêler du solide; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens; mais son argent redresse les jugements de son esprit; il a du discernement dans sa bourse; ses louanges sont monnayées; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.

MAÎTRE à DANSER: Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne.

MAÎTRE à DANSER: Assurément; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu'avec son bien, il eût encore quelque bon goût des choses.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Je le voudrais aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connaître dans le monde; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.

MAÎTRE à DANSER: Le voilà qui vient.
Monsieur Jourdain
Apprenez-moi l'orthographe.

Maître de philosophie
Très volontiers.

Monsieur Jourdain
Après, vous m'apprendrez l'almanach, pour savoir quand il y a la lune et quand il n'y en a point.

Maître de philosophie
Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer, selon l'ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu'elles expriment les voix; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu'elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix: A, E, I, O, U.

Monsieur Jourdain
J'entends tout cela.

Maître de philosophie
La voix A se forme en ouvrant fort la bouche: A.

Monsieur Jourdain
A, A, oui.

Maître de philosophie
La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d'en bas de celle d'en haut: A, E.

Monsieur Jourdain
A, E; A, E. Ma foi, oui. Ah! que cela est beau!

Maître de philosophie
Et la voix I, en rapprochant encore davantage les mâchoires l'une de l'autre, et écartant les deux coins de la bouche vers les oreilles: A, E, I.

Monsieur Jourdain
A, E, I, I, I, I. Cela est vrai. Vive la science!

Maître de philosophie
La voix O se forme en rouvrant les mâchoires et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas: O.

Monsieur Jourdain
O, O. Il n'y a rien de plus juste. A, E, I, O, I, O. Cela est admirable! I, O, I, O.

Maître de philosophie
L'ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O.

Monsieur Jourdain
O, O, O. Vous avez raison. O. Ah! la belle chose que de savoir quelque chose!

Maître de philosophie
La voix U se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l'une de l'autre sans les joindre tout à fait: U.

Monsieur Jourdain
U, U. Il n'y a rien de plus véritable, U.

Maître de philosophie
Vos deux lèvres s'allongent comme si vous faisiez la moue, d'où vient que, si vous la voulez faire à quelqu'un et vous moquez de lui, vous ne sauriez lui dire que U.

Monsieur Jourdain
U, U. Cela est vrai! Ah! que n'ai-je étudié plus tôt pour savoir tout cela!

Maître de philosophie
Demain nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes.

(extrait 2 )

 

MADAME JOURDAIN

. Ça non vraiment! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles, et vous avez bien opéré avec ce beau monsieur le comte dont vous vous êtes embéguiné.

 

MONSIEUR JOURDAIN.

Paix! Songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui ? C'est une personne d'importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l'on considère à la cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N'est-ce pas une chose qui m'est tout à fait honorable, que l'on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m'appelle son cher ami, et me traite comme si j'étais son égal ? Il a pour moi des bontés qu'on ne devinerait jamais; et, devant tout le monde, il me fait des caresses dont je suis moi-même confus.

 

MADAME JOURDAIN.

Oui, il a des bontés pour vous, et vous fait des caresses, mais il vous emprunte votre argent.

 

MONSIEUR JOURDAIN

. Hé bien! ne m'est-ce pas de l'honneur de prêter de l'argent à un homme de cette condition-là ? et puis-je faire moins pour un Seigneur qui m'appelle son cher ami ?

(extrait 3)

CLÉONTE

. Je fais voir pour une personne toute l'ardeur et toute la tendresse qu'on peut imaginer; je n'aime rien au monde qu'elle, et je n'ai qu'elle dans l'esprit ; elle fait tous mes soins, tous mes désirs, toute ma joie ; je ne parle que d'elle, je ne pense qu'à elle, je ne fais des songes que d'elle, je ne respire que par elle, mon coeur vit tout en elle : et voilà de tant d'amitié la digne récompense ! Je suis deux jours sans la voir, qui sont pour moi des siècles effroyables : je la rencontre par hasard ; mon coeur, à cette vue, se sent tout transporté, ma joie éclate sur mon visage, je vole avec ravissement vers elle ; et l'infidèle détourne de moi ses regards, et passe brusquement, comme si de sa vie elle ne m'avait vu!

( extrait 4)

 

 MADAME JOURDAIN. C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu'elle ait des enfants qui aient honte de m'appeler leur grand-maman. S'il fallait qu'elle me vînt visiter en équipage de grand-dame, et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. « voyez-vous, dirait-on, cette madame la marquise qui fait tant la glorieuse, c'est la fille de monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la madame avec nous. Elle n'a pas toujours été si relevée que la voilà, et ses deux grands-pères vendaient du drap auprès de la porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu'ils payent maintenant peut-être bien cher en l'autre monde, et l'on ne devient guère si riches à être honnêtes gens. » Je ne veux point tous ces caquets et je veux un homme, en un mot, qui m'ait obligation de ma fille, et à qui je puisse dire : « Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi. »

( extrait 5)

 ACTE I, Scène première

MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, TROIS MUSICIENS, DEUX VIOLONS, QUATRE DANSEURS.

MAÎTRE DE MUSIQUE, parlant à ses musiciens: Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne.

MAÎTRE à DANSER, parlant aux danseurs: Et vous aussi, de ce côté.

MAÎTRE DE MUSIQUE, à l'Élève: Est-ce fait?

L'ÉLÈVE: Oui.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Voyons. Voilà qui est bien.

MAÎTRE à DANSER: Est-ce quelque chose de nouveau?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, c'est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé.

MAÎTRE à DANSER: Peut-on voir ce que c'est?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous l'allez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère.

MAÎTRE à DANSER: Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mettre en tête; et votre danse et ma musique auraient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât.

MAÎTRE à DANSER: Non pas entièrement; et je voudrais pour lui qu'il se connût mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paye bien; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.

MAÎTRE à DANSER: Pour moi, je vous l'avoue, je me repais un peu de gloire; les applaudissements me touchent; et je tiens que, dans tous les beaux arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d'essuyer sur des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées.

MAÎTRE DE MUSIQUE: J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites. Mais cet encens ne fait pas vivre; des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise: il y faut mêler du solide; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens; mais son argent redresse les jugements de son esprit; il a du discernement dans sa bourse; ses louanges sont monnayées; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.

MAÎTRE à DANSER: Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne.

MAÎTRE à DANSER: Assurément; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu'avec son bien, il eût encore quelque bon goût des choses.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Je le voudrais aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connaître dans le monde; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.

MAÎTRE à DANSER: Le voilà qui vient.

 

Rechercher dans le site

© 2009 Tous droits réservés.