amine zniber

La boîte à merveilles

extrait -1-

"A six ans, j'étais seul, peut-être malheureux, mais je n'avais aucun point de repère qui me permît d'appeler mon existence solitude ou malheur.
Je n'étais ni heureux ni malheureux. J'étais un enfant seul. Cela, je le savais. Point farouche de nature, j'ébauchai de timides amitiés avec les bambins de l'école coranique, mais leur durée fut brève. Nous habitions des univers différents. J'avais un penchant pour le rêve. Le monde me paraissait un domaine fabuleux, une féerie grandiose où les sorcières entretenaient un commerce familier avec les puissances invisibles. Je désirais que l'Invisible m'admît à participer à ses mystères. Mes petits camarades de l'école se contentaient du visible, surtout quand ce visible se concrétisait en sucreries d'un bleu céleste ou d'un rose du soleil couchant. Ils aimaient à grignoter, sucer, mordre à pleines dents. Ils aimaient aussi à jouer la bataille, se prendre à la gorge avec des airs d'assassins, pour imiter la voix de leur père, d'insulter pour imiter les voisins, commander pour imiter le maître d'école." Ed. Seuil, P.9

 

extrait -2-

Le hammam

" Ma mère me calma :

-" Je t'emmène prendre un bain, je te promets une orange et un oeuf dur et tu trouves le moyen de braire comme un âne !"
Ahmed Sefrioui (La boîte à merveilles)
La musique
"Les femmes de la maison s'achetèrent toutes des tambourins, des bendirs et des tambours de basque. Chacun de ces instruments avait sa forme, son langage particulier. Il y en avait de longs en céramique bleue, la base garnie de parchemins, de ventrus en poterie quasi rustique, de simples cadres en bois circulaires tendus d'une peau de chèvre soigneusement épilées."

Ahmed Sefrioui (La boîte à merveilles)

extrait -3-

Ma mère se leva pour se préparer. Elle changea de chemise et de mansouria, chercha au fond du coffre une vieille ceinture brodée d'un vert passé, trouva un morceau de cotonnade blanche qui lui servait de voile, se drapa dignement dans son haïk fraîchement lavé.
C'était, en vérité, un grand jour. J'eus droit à ma djellaba blanche et je dus quitter celle de tous les jours, une djellaba grise, d'un gris indéfinissable, constellée de taches d'encre et de ronds de graisse.
Lalla Aïcha éprouva toutes sortes de difficultés à s'arracher du matelas où elle gisait.
J'ai gardé un vif souvenir de cette femme, plus large que haute, avec une tête qui reposait directement sur le tronc, des bras courtes qui s'agitaient constamment. Son visage lisse et rond m'inspirait un certain dégoût. Je n'aimais pas qu'elle m'embrassât. Quand elle venait chez nous, ma mère m'obligeait à lui baiser la main parce qu'elle était chérifa, fille du Prophète, parce qu'elle avait connu la fortune et qu'elle était restée digne malgré les revers du sort. Une relation comme Lalla/Aïcha flattait l'orgueil de ma mère.
Enfin, tout le monde s'engagea dans l'escalier. Nous nous trouvâmes bientôt dans lame.
Les deux femmes marchaient à tout petits pas, se penchant parfois l'une sur l'autre pour se communiquer leurs impressions dans un chuchotement. A la maison, elles faisaient trembler les murs en racontant les moindres futilités, tellement leurs cordes vocales étaient à toute épreuve; elles devenaient, dans la me, aphones et gentiment minaudières.
Parfois je les devançais, mais elles me rattrapaient tous les trois pas pour me prodiguer des conseils de prudence et des recommandations. Je ne devais pas me frotter aux murs: les murs étaient si sales et j'avais ma superbe djellaba blanche,je devais me moucher souvent avec le beau mouchoir brodé pendu à mon cou, je devais de même m'écarter des ânes, ne jamais être derrière eux car ils pouvaient ruer et jamais devant car ils prenaient un malin plaisir à mordre les petits enfants.
- Donne-moi la main, me disait ma mère.
Et cinq pas après:
- Va devant, tu as la main toute moi
Je reprenais ma liberté mais pour un temps très court. Lalla Aïcha se proposait de me guider dans la cohue. Elle marchait lentement et tenait beaucoup de volume. Un embouteillage ne tardait pas à se former. Les passants nous lançaient toutes sortes de remarques déplaisantes mais finissaient par se porter à notre secours. Des bras inconnus me soulevaient du sol, me faisaient passer par-dessus les têtes et je me trouvais finalement dans un espace libre. J'attendais un bon moment avant de voir surgir de la fou)e les deux haïks immaculés. La scène se renouvela plusieurs fois durant ce voyage. Nous traversâmes des rues sans nom ni visage particuliers. J'étais attentif aux conseils de mes deux guides, je m'appliquais à me garer des ânes, butais inévitablement dans les genoux des passants. Chaque fois que j'évitais un obstacle, il s'en présentait un autre. Nous arrivâmes enfin au cimetière qui s'étend aux abords de Sidi Ali Boughaleb. J'esquissai un timide pas d'allégresse.    « La boite à merveilles. A. Sefrioui. »

extrait -4-

Mon père parut très préoccupé à mon sujet. Il me toucha les tempes plusieurs fois, me prit la main, arrangea ma couverture avec des gestes d'officiant. Je voyais ses lèvres remuer. Je savais qu'il récitait quelque invocation ou quelques verset au pouvoir salvateur. « Je vais peut-être mourir moi aussi, pensais-je. Peut être aurai-je, derrière mon cercueil, des anges beaux comme la lumière du jour ! » J'imaginais le cortège : quelques personnes du quartier, le fqih de l'école coranique, mon père plus grave que jamais et des anges vêtus de soie blanches. A la maison, ma mère pousserait des cris à se déchirer le gosier, elle pleurerait pendant des jours et pendant des nuits. Elle serait toute seule le soir pour attendre le retour de mon père. Non, je ne voulais pas mourir ! - je ne veux pas mourir ! Criais-je en me dressant dans mon lit. Je ne veux pas mourir. Je rejetai la couverture et me mis debout, hurlai cette phrase de toute la force de mes poumons. Mon père me recoucha, tempère par des paroles douces mes angoisses. Ma mère, les yeux bouffis répétait :
-Mon petit enfant ! Mon petit enfant !
Je me calmai. Mes oreilles se mirent à siffler. J'écoutais à travers ce bruit d'eau, ma mère raconter les événements de la journée. La mort de Sidi Mohamed Ben Taher le coiffeur, les malheurs de Lalla Aicha, la vente de ses bijoux et de son mobilier. (...)
Pendant ce temps, entre les franges de mes cils, je voyais descendre du plafond de beaux anges blancs, je distinguais les plumes de leurs ailes couleur d'argent. L'un d'eux posa sur mon lit ma Boite à Merveilles. Elle grandit démesurément, prit la forme d'un cercueil. Tout heureux, j'y entrai. Le couvercle tomba. Dans la boite régnait une fraîcheur de roses et de fleurs d'orangers. La boite fut emportée par delà les nuages dans des palais d'émeraude. Tous les oiseaux chantaient.

La boite à merveille d'Ahmed Sefrioui

extrait -5-

La kissaria, rendez-vous de toutes les élégantes de la ville, me parut contenir les fabuleux trésors de Soleiman, fils de David. Des caftans de drap amarante, des gilets précieusement ornementés de passementeries et de boutons de soie, des djellabas en voile de laine, des burnous somptueux voisinaient avec des tulles irisés comme des toiles d'araignée sous la rosée, des taffetas, des satins moirés et des cretonnes aux couleurs sauvages.
Le gazouillis des femmes prêtait à ce lieux je ne sais quelle atmosphère d'intimité. Les marchands ne ressemblaient pas à ceux des autres souks. La plupart étaient des jeunes gens, beaux de visage, très soignés dans leur mise, courtois dans leur langage. Ils ne se mettaient jamais en colère, faisaient montre d'une patience sans limite, se dérangeaient pour montrer à une cliente une étoffe posée sur le plus haut rayon, dépliaient la pièce, la repliaient pour la remettre à sa place, la cliente ayant déniché sous une pile de soie, une étoffe qui lui plaisait mieux.
Nous fîmes cinq ou six boutiques avant d'acheter trois coudées de cotonnade blanche. Elle devait servir à me faire confectionner une chemise. C'était de la cotonnade de bonne qualité, la qualité « Poisson ». Ma mère ne voulait pas d'autre marque. Le marchand nous montra, imprimé en bleu sur une assez grande longueur de la pièce, un poisson avec toutes ses écailles. Le cérémonial du marchandage dura beaucoup moins que lorsqu'il fallut payer le gilet rouge à soutaches.
Nous nous arrêtâmes devant une dizaine de magasins. Les marchands s'empressaient de nous montrer des piles de gilets de ma taille. Toutes les nuances de rouge défilaient sous nos yeux ; aucune ne correspondait au ton que désirait ma mère. Finalement elle fixa son choix sur un gilet cerise abondamment orné de serpentins et de fleurons en passementerie, légèrement plus foncée que le tissu.
Elle m'enleva la djellaba , m'essaya le gilet, me le boutonna jusqu'au cou, s'éloigna pour se rendre compte de l'effet, me fit signe de tourner à droite, puis de tourner à gauche, mit un temps infini à le déboutonner, en fit une boule qu'elle fourra brusquement entre les mains du marchand.
- Cet article te plaît-il ?
- C'est le prix qui décidera, répondit ma mère.
- Alors je te prépare le paquet ; aux clients sérieux, je consens toujours un rabais. Ce gilet vendu couramment cinq réaux, je te le laisse pour quatre réaux seulement
- Coupons court à toutes discussion, je t'en offre deux réaux.

{ La Boite à Merveilles - Ahmed Sefrioui }



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